Jean-Luc Sahagian, a écrit à propos du livre :
Histoires de la ZAD de Notre-Dames-Des-Landes, collectif, 2024
Nous avons beaucoup aimé les histoires qui nous venaient de la ZAD de Notre Dame des
Landes.
Je vivais à l’époque dans les Cévennes et participais à une petite bibliothèque anar, sise au
fin fond de la grand-rue et qui tranchait le village de bas en haut. La bibliothèque se trouvait
plutôt vers le haut, lorsque l’on sortait du village pour aller vers la Vallée Borgne. Il faut
établir la géographie des lieux car les histoires de la ZAD concerne aussi un territoire,
physique et mental, borné par les contes merveilleux de l’enfance. Avec la forêt et les
cabanes dans les arbres, et les monstres casqués auxquels résistaient tout un petit peuple de
boue. La zone était séparée en deux par une route, ladite « route des chicanes », car elle
avait été envahie d’obstacles divers afin d’empêcher la circulation motorisée et, partant,
l’intrusion des gendarmes. Du côté Est de cette route se trouvaient moult cabanes et abris
extraordinaires, et c’est cette zone qui fut expulsée en priorité, en 2018, après le
démantèlement par une partie des habitants eux mêmes de la « route des chicanes ».
La magie était là et ce grand vent d’ouest vint tout à coup aérer notre imaginaire et réactiver
toute une mythologie intime, celles de nos lectures enfantines, celles des vieux films que
l’on regardait la nuit sur d’antiques télés en noir et blanc. Des histoires de loyauté et de
résistance, de sentiments entiers et d’émotions fortes. En regardant les images qui nous
venaient de la ZAD, en lisant les mots que nous adressaient tous ces amis inconnus, une
grande exaltation montait en nous et nous rêvions ensemble, dans notre petit local
pauvrement éclairé, et nous allions nous baigner à la Borie, petit territoire libre juste audessus
du village et la vie semblait ouverte. Je me souviens aussi des premières rencontres
avec des zadistes, en Bretagne : celui qui avait monté une bibliothèque rurale dans une
ferme pas bien loin de la zone, ou celui qui nous racontait sa participation aux combats lors
de la résistance à l’opération César, son casque de Gaulois et son bâton noueux couronné
d’une masse de fer qu’il abattait, disait-il, sur les casques des gendarmes mobiles. Je me
souviens encore de cet ami qui avait essayé de rejoindre la zone cadenassée par les
gendarmes en prenant des chemins de traverse, et s’était fait courser par une vache balèze,
n’ayant dû son salut qu’à un saut fantastique par-dessus une haie de fil de fer.
Toutes ces histoires.
Plus tard, nous avons dû partir au moment même où une partie de la ZAD se faisait
expulser. Ce fut la fin de pas mal d’histoires. Et le retour à la morne réalité. Le vent était
tombé. Comment ferions-nous désormais pour vivre gentiment à la petite semaine ?
Oui, nous étions nombreux à cette époque à vivre des moments merveilleux hors de la ville.
Nous avons du mal à nous en souvenir maintenant que tout est devenu si mauvais. Et que la
totalité du monde semble siphonnée par les objets froids et diaboliques du pouvoir technomarchand.
Et puis, il n’y a pas longtemps, un livre est revenu sur ces histoires merveilleuse et cruelles
de la ZAD de NDDL. Il s’intitulait justement Histoires de la ZAD de Notre-Dame-Des-
Landes et c’était le « s» d’histoires qui importait ici. En effet, dans ce livre de témoignages
sauvages, sans éditeur ni copyright, c’est l’esprit de la piraterie qui était mis en avant. Pas de
chef, pas de partis, pas de syndicats ni de coteries. Juste peut-être l’esprit de la bande, de la
horde ou même du Lone Wolf.
Si ce livre me semble si important, c’est qu’il soulève nombre de questions. Et instille le
doute. S’il me touche autant, c’est qu’il raconte des itinéraires de vie non pas exemplaires,
mais tous passionnants. Quelque chose comme une fidélité à des idéaux d’une enfance
d’avant ce monde. La loyauté, le courage, la détermination et l’envie d’en découdre. Sans se
rendre jamais aux raisons du monde des adultes. Car il s’agit ici, dans cette vingtaine
d’histoires, de raconter l’envers d’une histoire au singulier, peaufinée par les vainqueurs
officiels de la ZAD. Ceux qui ont reçu l’aval des autorités. Et qui ont contribué, plus ou
moins directement, à l’expulsion d’une partie de la zone après l’abandon du projet d’aéroport
par l’État en 2018. Des histoires des perdants de l’histoire. Ceux à qui on a fait du tort. Et
qui, jusqu’à maintenant, n’ont pas eu vraiment accès à la parole. Ce livre est là pour tenter
aussi de rendre la honte plus honteuse. Car les gagnants de la ZAD, dans ce monde qui
déteste les perdants, continuent à prospérer dans le jeu politique et médiatique.
Au moment de la montée en puissance de la ZAD, nous avions été sensibles aux habitants
des cabanes dans les arbres. Nous avions même publié un extrait de l’intervention d’une de
ces habitantes dans le numéro 14 du Bulletin des compagnons de nulle part, le petit fanzine
édité par des participantes à notre bibliothèque-infok. Je reproduis ici une partie de ce texte
afin de montrer ce qui nous mobilisait à l’époque, en 2013 (et qui me mobilise toujours
aujourd’hui). Le discours est extrait d’un film, Quand les arbres s’agitent, tourné et diffusé
par ces habitants de la ZAD.
Les yeux sont cernés mais grands ouverts sous la capuche noire, et la voix sort claire
derrière le foulard blanc aux motifs indiens. Elle est équipée de cordages pour pouvoir
remonter dans une des cabanes installées dans la forêt. […] Pour le moment, on entend juste
le bruit de la forêt derrière elle, ou plutôt un silence peuplé. Son français est un peu hésitant,
on sent qu’elle cherche ses mots pour répondre à la question qu’on vient de lui poser :
« … parce que partout dans le monde, on est en train de détruire tout le monde, toute la
nature, tout ce qu’on a besoin pour vivre, et ça peut pas continuer comme ça, les gens qui
pensent juste à l’argent et à la croissance, mais ce qu’il nous faut, c’est de l’oxygène et de la
nourriture, et c’est le temps de se battre pour ça car sinon on va tous mourir. Et tous les
animaux. Moi je me bats surtout pour les animaux, parce que les êtres humains, c’est notre
propre faute qu’on est si stupides mais les animaux, je les aime trop. »
L’on retrouve, dans ces Histoires de la Zad, certains témoignages des occupantes de la forêt.
Et voilà aussi ce qu’ajoute le préambule du livre et que nous n’avions pas vraiment perçu sur
le moment, vivant loin de la zone.
La résistance aux expulsions de 2012 est documentée par de nombreuses photos et vidéos.
Certains montrent des camarades qui se déplacent d’arbres en arbres, à dix ou quinze
mètres de haut, sur des ponts de singes. Même si ces pratiques de funambules s’approchent
du merveilleux, le plus touchant se déroule au pied des arbres. Des dizaines, voire des
centaines, de personnes encourageant les amies dans les airs, les applaudissant, jouant de
la musique, sifflant, chantant. On y remarque des visages euphoriques, qui crient, qui
expriment leur enthousiasme, leur peur, leur solidarité.
Mais ce qui est peut-être le plus dérangeant dans ce livre, c’est qu’il pointe notre commune
faiblesse face à une forme de séduction. Après cet enthousiasme premier et fédérateur des
cabanes, de cette résistance évidente à la police, et un intérêt continu pour la ZAD qui
prenait une ampleur imprévue, même chez les médiatiques (et la fin d’une période avec
l’intimité et l’humilité d’un début, si riche en expériences improbables et si loin du modèle
acceptable, ajoute l’une des rédactrices du livre) nous avions invité des camarades zadistes
pour parler d’un livre sur la ZAD qui venait de sortir, Contrées, joli livre, bien édité, bien
construit, mettant en regard des témoignages sur la lutte de Notre-Dame-Des-Landes et celle
des No Tav dans le Val de Susa à côté de Turin. Problématiques claires, perspectives se
dégageant de ces luttes territoriales, le récit était bien sûr séduisant, comme l’étaient les
personnes qui le présentaient. Sans vraiment le vouloir, même si nous étions au courant des
dissensions grandissantes sur la zone, nous avons donc favorisé la parole des futurs
vainqueurs qui se préparaient déjà, peut-être, à la post-ZAD. Sensibles que nous sommes
aux beaux livres, bien écrits, à la parole qui claque, à une certaine forme de littérature, aux
écrits des Surréalistes, de l’IS, nous sommes allés du côté de ce que nous connaissions le
mieux, délaissant la critique pauvre, les brochures grises au jargon militant ou à la prose
hérissée.
On la retrouve heureusement dans ce livre, et sa puissance critique s’exacerbe dans la
répétition, (le ressentiment diront les vainqueurs de haut de leur morgue), le dévoilement de
parcours de vie sur la ZAD et la joie de vivre enfin quelque chose s’approchant de
l’anarchie. Et la rage d’avoir été chassés par ceux et celles qui ont accepté d’accueillir les
journalistes puis signé les contrats avec la préfecture et enfin aidé à dégager tous ceux qui
marquaient mal. Ces individus hors contrôle qui rendaient la situation explosive et
incompréhensible dit l’un des témoignages. Et qui n’avaient pas leurs entrées dans la
bourgeoisie de gauche, chez les journaleux, les universitaires ou les écrivains. Qui n’avaient
pas les relais ni la capacité de séduction des gagnants. Eux qui ne voulaient peut-être rien
construire d’autre qu’un moment d’antagonisme, qu’un rêve. Eux qui étaient avant tout
contre le monde et son aéroport. Je ne sais pas. Mais certainement pas prêts à pactiser avec
la gauche ni à construire un parti, même imaginaire.
Il ne s’agit pas de donner ici toutes les bonnes raisons aux uns et toutes les mauvaises aux
autres. Nous savons, pour l’avoir nous-mêmes vécu à notre échelle à la bibliothèque-infok
de Saint-Jean-du-Gard, durant la dizaine d’années de son existence, combien des
dynamiques négatives peuvent se mettre en place sur la durée et déboucher sur des haines
féroces. Nous avons aussi vu débarquer, dans notre village cévenol, que l’on croyait
pourtant protégé de la bêtise de l’époque, les identitaires de la postmodernité et leurs
embrouilles misérables. Et on peut bien imaginer ce que cela pouvait engendrer dans un lieu
comme la ZAD, soumis à toutes les pressions politiques, policières et médiatiques. Mais
cela n’empêche pas de penser qu’à travers ce livre, il me semble entrevoir aussi comment
une tendance de la critique a finalement rendu les armes. Et redonné comme un coup de
neuf à la gauche.
Pour conclure, laissons la parole à Mimi Cracra, l’une des rédactrices de ces Histoires de la
ZAD.
Bien sûr, la fin de cette lutte est à l’image de bien d’autres. Elle vient rappeler que les
profiteurs sont puissants et très divers, qu’ils apparaissent souvent parmi les « élites » de la
lutte elle-même. L’État les recherche pour créer un dialogue et les valide pour leur déléguer
la pacification de ce qui lui échappe. Puis la porte est ouverte sur une longue carrière.
La petite clique qui a piloté la fin de la lutte est bien issue du mouvement d’occupation. Elle
a su saisir l’occasion pour capitaliser l’imaginaire rebelle et indomptable de la zad, tout en
suivant la voie tracée par les organisations citoyennes, agricoles et politiciennes. […]
Mais c’est surtout la possibilité rare de crier « victoire » qui leur a été offerte. C’est sur
cette couronne de laurier que ces quelques stratèges ont pu poser la base de leur
« nouveau » modèle de lutte : des alliances politiciennes qui recyclent la gauche réformiste,
des stratégies d’état-major pour des moments spectaculaires appuyés par des clips
médiatiques relayés à l’infini.
Les « Soulèvements de la terre » s’imposent donc très vite comme une sorte de syndicat
centralisé des luttes écologistes, avec pour fonds de commerce le désastre environnemental
et la colère qu’il suscite.
Lisez Histoires de la ZAD.
La mémoire de ces lieux et des gens qui les ont fréquentés, de ce qui se jouait et se vivait sur
ce bout de bocage, se dissipera aussi, si elle n’est pas transmise, dans le brouillard de
l’histoire des vainqueurs.ses.
368 pages. Offset. 21 récits.
Entre 7 et 12€.
Pour le commander ou pour distribuer le livre Histoires de la zad de Notre-Dame-des-Landes : landes@riseup.net
Disponible à Marseille (histoire de l’œil, L’hydre, Librairie Transit..), Toulouse (Terra Nova, Cras, ..), Paris (PUBLICO, Cras, ..), Brest (La lecture pour tous), Nantes (Les Bien-aimés, Coiffard, Marguerite…), Rouen (Les temps sauvages), Rennes (Blind Spot), Figeac (Librairie Champollion), Crest (La Balançoire), Lyon (La Gryffe, …), ..